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Koltès, Combat de nègre et de chiens

Roule la peau noire, roule sur la peau noire, labeur, labeur, l’entreprise roule, roule l’arbre qui s’écorce, s’écorche : tout pour un cercueil. L’entreprise aboie. Sans le jour puisque le monde s’étend sans son monde. Elle roule sur la peau du monde. Et l’Afrique se fusille, fusille du regard. Parce que la salive et le fric. Et le reste qui ne supporte rien, alcool ou saumure, roule sur la peau noire. Jusqu’à ce que la peau noire sous la peau noire du monde s’enfonce dans le néant. Roule sur la peau noire, plaque sur plaque, le bois, l’écorce et le cercueil pour que la peau noire prolonge son murmure. Murmure avec la peau noire du monde. Jusqu’au-dedans de la chair une même couleur de la distinction. Gronde sous les pas. Et l’entreprise qui roule et roule, n’entend la peau noire qui gronde. Les miradors muent, vident ce qui maintient l’épiderme. Qu’importe. Mais le monde n’est pas plus vaste qu’une carcasse. Roule. L’entreprise roule, malgré la terre et son monde, là où ne roule qu’une peau noire sous la terre, et sa poussière entre des doigts de blancs et de maîtres qui roule à l’identique du monde. Avec ce néant qui s’étire et étire la peau noire du monde sous le monde. Pour que jamais ne se rejoignent les cadavres qui pourrissent sous nos regards.

Réf.

Bernard-Marie Koltès, combat de nègre et de chiens, éditions de Minuit, 1989.

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